• Comme elle gardait la tête baissée en signe d'obéissance et d'humilité, Maria ne pouvait voir exactementce qui se passait ; mais elle remarquait que, dans un autre univers, sur une autre planète, cet homme haletait, fatigué de faire claquer le fouet et de lui frapper les fesses, tandis qu'elle se sentait de plus en plus forte et pleine d'énergie. A présent elle n'avait plus honte, et elle ne ressentait ausune gêne à montrer qu'elle aimait ça; elle se mit à gémir, lui demanda de toucher son sexe, mais l'homme, au lieu de la satisfaire, l'attrapa et la jeta sur le lit.
    Violemment - mais d'une violence qu'elle connaissait, qui n'allait lui causer aucun mal, il lui écarta les jambes et les attacha de chaque côté du lit. Elle avait les mains menottées dans le dos, les jambes écartées, le baillon sur la bouche. Quand allait-il la pénétrer ? Ne voyait - il pas qu'elle était prête, qu'elle voulait le servir, qu'elle était son esclave, son animal, son objet, qu'elle ferait tout ce qu'il demandait ?
    "Aimerais-tu que je te fasse jouir?"
    Il appuyait le manche du fouet sur son sexe. Il le frotta du haut en bas et, au moment où il toucha son clitoris, elle perdit tout contrôle. Elle ne savait pas depuis combien de temps il étaient là, combien de fois elle avait été frappée, mais soudain ce fut l'orgasme, l'orgasme que des dizaines, des centaines d'hommes, durant tout ces mois, n'avaient pas réussi à éveiller. Il y eut une explosion de lumière, Maria sentit qu'elle entrait dans un trou noir au plus profond de son âme, où la douleur et la peur se mêlaient au plaisir absolu, l'entraînant au-delà de toutes les limites qu'elle avait connues. Elle gémit, poussa un cri étouffé par le bâillon, s'agita sur le lit, sentit que les menottes lui sciaient les poignets et que les lanières de cuir lui blessaient les chevilles, bougea comme jamais - justement parce qu'elle ne pouvait pas bouger - cria comme jamais elle n'avait crié - puisqu'elle avait un bâillon sur la bouche et que personne ne pouvait l'entendre. C'était cela la douleur et le plaisir, le manche de fouet qui pressait son clitoris de plus en plus fort, et sa bouche, son sexe, ses yeux, ses pores, toute sa jouissance.

    Elle tomba dans une sorte de transe, dont elle émergea peu à peu. Déjà elle n'avait plus le fouet entre les jambes. Des cheveux étaient mouillés par une sueur abondante; des mains douces lui ôtèrent les menottes et détachèrent les lanières de cuir de ses chevilles.
    Elle resta là, étendue, confuse, incapable de regarder l'homme parce qu'elle avait honte d'elle-même, de ses cris, de son orgasme. Il lui caressait les cheveux et haletait lui aussi - mais le plaisir avait été exclusivement pour elle ; il n'avait eu aucune extase.
    Son corps nu se serra contre cet homme entièrement vêtu, épuisé de tant de cris, de tant de contrôle de la situation. Maintenant elle ne savait pas quoi dire, comment continuer, mais elle était en sécurité, protégée : il l'avait invitée à atteindre une part d'elle - même qu'elle ne connaissait pas. Il était son protecteur et son Maître.
    Elle se mit à pleurer, et il attendit patiemment qu'elle se câlmat.
    "Qu'as-tu fait de moi ?" dit-elle entre ses larmes.
    - Ce que tu voulais que je fasse."
    Elle le regarda et sentit qu'elle avait désespérement besoin de lui.
    "Je ne t'ai pas forcée, je ne t'ai pas obligée, et je ne t'ai pas entendue dire "jaune". Mon seul pouvoir était celui que tu m'accordais. Il n'y avait aucune contrainte, aucun chantage, seulement ta volonté ; même si tu étais l'esclave et que j'étais le Maître, mon seul pouvoir était de te pousser vers ta propre liberté."
    Des menottes. Des lanières de cuir aux pieds. Un baîllon. L'humiliation, plus forte et plus intense que la douleur. Pourtant, il avait raison, la sensation était de liberté totale. Maria était pleine de lumière, et lui semblait opaque, vidé.
    "Tu peux partir quand tu le veux, dit Terence.
    - Je ne veux pas partir, je veux comprendre."
    Elle se leva, dans la beauté et l'intensité de sa nudité, et remplit deux verres de vin. Elle alluma deux cigarettes et lui en donna une. Les rôles s'étaient inversés, elle était la maîtresse qui servait l'esclave, le récompensant du plaisir qu'il lui avait donné.
    "Je vais m'habiller puis je partirai. Mais d'abord j'aimerais parler un pau.
    - Il n'y a rien à dire. C'était ça que je voulais, et tu as été merveilleuse. Je suis fatigué, je dois repartir demain pour Londres."
    Il s'allongea et fermat les yeux. Maria ne savait s'il faisait semblant de dormir, mais peu lui importait; elle fuma sa cigarette avec plaisir, but lentement son verre de vin, le visage collé à la vitre, à regarder le lac et à désirer que quelqu'un la vît ainsi - nue, pleine, comble, sûre de soi.
    Elle s'habilla, sortit sans dire au revoir, et sans que le fait d'ouvrir la porte elle - même ait quelques importance : elle n'était pas certaine de vouloir revenir.
    Terence entendit la porte se refermer. Il attendit pour voir si Maria revenait sous un prétexte quelconque puis, au bout de quelques minutes, il se leva et alluma une cigarette.
    La fille avait du style, pensa-til. Elle avait supporté le fouet, le plus commun, le plus vieux et le moindre de tous les supplices. Il se rappela la première fois où lui-même avait fait l'expérience de cette mystérieuse relation entre deux êtres qui désirent êtres qui désirent se rapprocher et n'y parviennent qu'en sinfligeant mutuellement la souffrance.
    Dehors, des millions de couples pratiquaient chaque jour sans le savoir l'art du sadomasochisme. Ils allaient au travail, revenaient, se plaignaient de tout, l'homme agressait sa femme ou l'était par elle, ils se sentaient misérables - mais profondément attachés à leur propre malheur, et l'ignoraient qu'il suffisait d'un geste, d'un "plus jamais ça", pour se libérer de l'oppression. Terence avait connu cela avec sa femme, une célèbre chanteuse anglaise ; tourmenté par la jalousie, il lui faisait des scènes,^passait ses journées sous l'emprise des calmants et ses nuits ivre d'alcool. Elle l'aimait et ne comprenait pas pourquoi il agissait ainsi ; il l'aimait et ne comprenait pas non plus son propre comportement. Mais c'était comme si les peines qu'ils s'infligeaient l'un à l'autre étaient nécessaires, essentielles à leur existence.

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  • Toutes les bougies étaient allumées. terence en prit une, la plaça au centre de la table, servit de nouveau champagne et caviar. Maria buvait vite tout en songeant aux 1000 francs dans son sac, à l'inconnu qui la fascinait et l'intimidait tout à la fois, à la meilleure manière de contrôler sa peur. Elle savait qu'avec cet homme une soirée n'était jamais semblable à la précédente, et elle ne pouvait pas le menacer.
    "assieds-toi."
    La voix était alternativement douce et autoritaire. Maria obéit, et une vague de chaleur parcourut son corps; cet ordre lui était familier, elle se sentit plus assurée. "Théatre. Je dois entrer dans la pièce de théatre."
    Il était bon d'être commandée. Elle ne devait pas penser, seulement obéir. Elle réclama encore du champagne, il lui apporta de la vodka; cela montait plus vite à la tête: libérait plus facilement des inhibitions, s'accordait mieux avec le caviar.
    Il ouvrit la bouteille, Maria but pratiquement seule. Le tonnerre grondait toujours. Tout concourait à la perfection du moment, comme si l'énergie des cieux et de la terre révélait elle aussi sa violence.
    Terence prit alors dans l'armoire une petite mallette, qu'ilposa sur le lit.
    "Ne bouge pas"
    Maria obéit. Il l'ouvrit et en sortit deux paires de menottes en métal chromé.
    "Assieds- toi jambes écartées."
    Elle obtempéra, volontairement impuissante, soumise parce qu'elle le désirait. Elle vit qu'il regardait entre ses jambes, pouvait voir sa culotte noire, ses bas, ses cuisses, imaginer ses poils, son sexe.
    "Debout !"
    Elle bondit de la chaise. Son corps eut du mal à se tenir en équilibre, et elle constata qu'elle était plus ivre qu'elle ne le pensait.
    "Ne me regarde pas. Baisse la tête, respecte ton Maître !"
    Avant de s'excécuter, elle entraperçut un fouet trés fin sortir de la mallette et claquer dans l'air, comme doté d'une vie propre.
    "Bois; Garde la tête baissée, mais bois."
    Elle avala encore un, deux, trois verres de vodka.
    Maintenant ce n'était plus un théatre, mais la réalité : c'était plus fort qu'elle. Elle se sentait un objet, un simple instrument, et incroyable que ce fût, cette soumission lui donnait la sensation d'une totale liberté. Elle n'était plus la maîtresse, celle qui enseigne, console, écoute les confessions, excite : elle n'était que la petite fille de l'intérieur du Brésil devant le gigantesque pouvoir de l'homme.


    "Retire tes vêtements"
    Ce fut un ordre sec, sans désir - et cependant extrêmement érotique. Toujours tête baissée en signe de déférence, Maria dégrafa sa robe et la laissa glisser jusqu'au sol.
    "Sais tu que tu ne te comportes pas bien ?"
    De nouveau le fouet claqua.
    "Tu dois être châtiée. Une fille de ton âge, comment oses-tu me contrarier ? Tu devrais être à genoux devant moi ! "
    Elle s'apprêta à s'agenouiller, mais le fouet l'interrompit; pour la première fois, il frappait sa chair - sur les fesses. Cela brûlait, mais semblait ne pas laisser de marques.
    "Je ne t'ai pas dit de t'agenouiller. L'ai-je dit ?"
    - Non"
    Le fouet frappa encore ses fesses.
    "Dis, "Non, Mon Maître."
    De nouveau des coups. De nouveau la brûlure. Une fraction de seconde, elle pensa qu'elle pouvait tout arrêter sur le champ ; elle pouvait aussi choisir d'aller jusqu'au bout, non pour l'argent, mais à cause de ce que Terence avait affirmé la première fois : un être humain ne se connaît que losqu'il atteint ses limites.
    Et ça, c'était nouveau, c'était l'Aventure. Elle pourrait toujours décider plus tard de continuer si elle le voulait, mais cet à cet instant elle cessa d'être la jeune fillequi poursuivait des objectifs dans la vie, qui gagnait de l'argent au moyen de son corps et qui avait fait la connaissance d'un homme ayant des histoires intéressantes à raconter devant un feu de cheminée. Là, elle n'était personne et, n'étant personne, elle était tout ce dont elle avait rêvé.
    "Retire tous tes vêtements. Et marche pour que je puisse te voir."
    Elle obéit, tête baissée, sans mot dire. L'homme qui l'observait était habillé, impassible, ce n'était plus l'être qu'elle avait rencontré dans la boîte de nuit.- C'était un Ulysse qui venait de Londres, un Thésée descendu du ciel, un kidnappeur qui envahissait la violle la plus sûre du monde, et le coeur le plus fermé de la terre. Elle retira sa culotte, son soutien-gorge, et se sentit en même temps sans défense et protégée. Le fouet claqua dans l'air sans atteindre son corps.
    "Garde la tête baissée ! Tu es ici pour être humiliée, soumise à tout ce que je désire, compris ?"
    - "Oui, Maître"
    Il lui saisit le poignets et lui passa les menottes. "Tu vas voir ce que tu vas prendre ! Jusqu'à ce que tu saches te conduire convenablement."
    De sa main ouverte, il lui donna une claque sur les fesses. Maria cria, cette fois elle avait eu mal.
    "ah ! tu protestes, n'est ce pas? Et bien, tu vas voir ce qui est bon ."
    Avant qu'elle ait pu réagir, un baillon de cuir vint fermer sa bouche. Il ne l'empêchait pas de parler, elle pouvait dire "Jaune" ou "Rouge", mais il permettait à cet homme de faire d'elle ce qu'il voulait, et elle n'avait aucun moyen de s'échapper. Elle était nue, baîllonnée, menottée, la vodka à la place du sang.
    Nouvelle claque sur les fesses.
    "Marche d'un côté à l'autre !"
    Maria se mit à marcher, obéissante aux ordres "arrête toi", "tourne à droite", "assieds toi", "écarte les jambes". De temps à autre, sans raison, elle recevait une claque, et elle sentait la douleur, l'humiliation - plus puissante et plus forte que la douleur - , et elle avait l'impression d'être dans un autre monde, où plus rien n'existait. C'était une sensation quasi religieuse : s'annihiler totalement, servir, perdre la conscience de son égo, de ses désirs, de sa volonté propre. Elle était complètement mouillée, excitée, et ne comprenait pas ce qui se passait.
    "remets toi à genoux !"

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  • Peu après que Maria eut écrit ces mots, et tandis qu'elle se préparait à vivre une nouvelle soirée en Mère affectueuse ou en Petite Fille ingénue, la porte du Copacabana s'ouvrit et Terence entra.
    Milan, derrière le bar, parut satisfait : la petite ne l'avait pas déçu. Maria se rappela à l'instant même ces mots qui signifiaient tant de choses et dont le sens était pour elle obscur :
    "Douleur, souffrance, et beaucoup de plaisir."
    "Je suis venu de Londres spécialment pour te voir. J'ai beaucoup pensé à toi."
    Elle sourit et s'efforçat de faire en sorte que son sourire ne fut pas un encouragement. Cette fois non plus, il ne suivit pas le rituel, il ne l'invita ni à boire ni à danser, il s'assit simplement...
    "Quand le professeur fait découvrir quelque chose à un élève, lui aussi fait une découverte.
    - Je sais de quoi tu parles", répondit Maria, qui pensait à Ralf tout en se sentant irritée de ce souvenir : elle se tenait devant un client, elle devait respecter et faire son possible pour le contenter.
    "Veus tu aller plus loin ?"
    Mill francs. Un univers caché. Le patron qui la regardait. La certitude qu'elle pourrait s'arrêter quand elle le voudrait. La date fixée pour le retour au Brésil. Un homme, qui ne se manifestait pas.
    "Tu es pressé ?" demanda Maria.
    Il répondit que non. Alors, que voulait-elle?
    "Je veux mon verre, ma danse, du respect pour ma profession."
    Il hésita quelques minutes, mais dominer et être dominé faisaient partie de la représentation. Il paya la consommation, dansa, appela un taxi, lui remit l'argent pendant qu'ils traversaient la ville, et ils se rendirent au même hôtel que la fois précédente. Ils entrèrent. Il salua le portier italien comme le soir où ils avaient fait connaissance, et ils montèrent dans la chambre, avec vue sur le fleuve.

    Terence frotta une allumette, et alors seulement Maria se rendit compte que d'innombrables bougies parsemaient la pièce. Il commença à les allumer.
    "Que veux-tu savoir ? Pourquoi je suis ainsi ? Pourquoi, si je ne m'abuse, tu as adoré la soirée que nous avons passée ensemble ? Tu veux savoir pourquoi toi aussi tu es ainsi ?"
    - Au Brésil il existe une superstition : on ne doit pas allumer plus de trois bougies avec la même allumette. Et tu ne t'y plies pas . "
    Il ignora la remarque.
    "Tu es comme moi. Tu ne viens pas ici pour les 1000 francs, mais à cause d'un sentiment de culpabilité, de dépendance, à cause de tes complexes et de ton manque d'assurance. Ce n'est ni bien ni mal, c'est la nature humaine."
    Il saisit la télécommande de la télévision et changea plusieurs fois de chaîne avant de s'arrêter sur un journal d'information qui montrait des réfugiés en fuite."
    "Tu vois ces images ? Tu as déjà vu ces émissions où les gens viennent étaler leurs problèmes personnels devant tout le monde ? Tu es déjà allée jusqu'au kiosque lire les manchettes de journaux ? Tout le monde se réjouit de la souffrance et de la douleur. Sadisme quand on regarde, masochisme quand on conclut qu'on n'a nul besoin de savoir tout ça pour être heureux, mais qu'on assiste néanmoins à la tragédie d'autrui et parfois qu'on en souffre."
    Il servit 2 coupes de champagnes, éteignit la télévision et se remit à allumer les bougies, sans tenir compte de la superstition dont l'avai averti Maria.
    "Je le répète : c'est la condition humaine. Depuis que nous avons été expulsés du paradis, ou bien nous souffrons, ou bien nous faisons souffrir et contemplons la souffrance des autres. Nous n'y pouvons rien."
    Ils entendirent le tonnerre gronder, un gigantesque orage approchait.
    "Mais je n'y arrive pas, dit Maria. Il me semble ridicule de penser que tu es mon Maître et moi, ton esclave. Nous n'avons besoin d'aucun théatre pour rencontrer la souffrance : la vie nous offre déjà trop d'occasions de souffrir."

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