• Onze minutes - Coelho Paulo (1)


    "Deux heures après avoir rédigé son journal, lorsque Maria arriva au Copacabana, Milan, le patron, vint la trouver :"Alors, tu es sortie avec ce peintre ?"
    Il devait être connu dans la maison, elle l'avait compris quand il avait réglé le tarif pour trois clients sans avoir eu besoin de s'enquérir du montant. Maria fit seulement "oui" de la tête, cherchant à crééer un certain mystère. Mais Milan n'y accorda pas la moindre importance, car il connaissait cette vie mieux qu'elle.
    "Tu es pet-être prête pour une prochaine étape. Il y a un clienty spécial qui te réclame toujours. Je dis que tu n'as pas d'exp^érience, et il me fait confiance. Peut être que maintenant il est temps d'essayer."
    Un client spécial ?
    Quel rapport avec le peintre ?
    Lui aussi c'est un client spécial.
    Alors, tout ce qu'elle avait fait avec Ralf, une de ses collègues l'avait fait aussi ? Maria se mordit la lèvre et garda le silence - elle avait passé une belle semaine, impossible d'oublier ce qu'elle avait écrit.

    Dois - je faire la même chose qu'avec lui ?
    Je ne sais pas ce que vous avez fait, mais aujourd'hui, si quelqu'un t'offre à boire, n'accepte pas. Les clients spéciaux paient davantage, tu ne le regretteras pas.
    La soirée débuta comme d'habitude. Les thaîlandaises s'asseyaient ensemble, les Colombiennes affichaienbt un air blasé, les trois Brésiliennes (elle incluse)feignaient la distraction, comme si rien de tout cela n'était nouveau ni interessant. Il y avait une Autrichienne, 2 allemandes, le reste de la distribution étant constitué par des femmes d'Europe de l'Est, toutes grandes aux yeux clairs, jolies, qui finissaient par se marrier plus vite que les autres.
    des hommes entrèrent - des Russes, des Suisses, des Allemands, toujours des cadres supérieurs surmenés, capable de s'offrir les services de prostituées les plus chères de l'une des villes les plus chères du monde. Certains se dirigèrent vers la table de Maria, mais elle jetait un coup d'oeil à Milan qui lui faisait signe de refuser à chaque fois. Elle était contente : elle n'aurait pas a écater les jambes ce soir, à supporter les odeurs, à prendre des douches dans des salles de bains mal chauffés. Tout ce qu'elle devrait faire, c'était apprendre à un homme fatigué du sexe comment faire l'amour. Et, à bien y réfléchir, n'importe qu'elle femme n'aurait pas sa créativité pour inventer l'histoire du présent.
    En même temps elle se demandait : "pourquoi donc, après avoir tout expérimenté, veulent-ils retourner au commencement ?"
    Enfin, ce n'était pas son affaire... Du moment qu'ils payaient bien, elle était à leur disposition.

    Un homme qui paraissait plus jeune que Ralf entra : beau, des cheveux noirs, une dentition parfaite, et un costume à la chinoise - sans cravate, un simple col montant par-dessus une chemise blanche impeccable. Il se dirigea vers le bar. Milan et lui regardèrent Maria, et le client s'approcha d'elle : "veus-tu boire quelque chose?"

    Milan hocha la tête, et Maria invita l'homme à s'assoir à sa table. Elle commanda un cocktail de fruits, et elle attendait l'invitation à danser, quand il se présenta : " Je m'appelle Terence, je travaille dans une maison de disques en Angleterre. Comme je sais que je me trouve dans un endroit où je peux faire confiance aux gens, je pense que cela restera entre nous".
    Maria allait se mettre à lui parler du Brésil quand il l'interrompit :
    "Milan m'a dit que tu savais ce que je veux.
    - Je ne sais pas ce que tu veux. Mais je sais ce que je fais."
    Le rituel ne fut pas accompli; il régla l'addition, la prit par le bras. Ils montèrent dans un taxi, et il lui tendit mille francs. Un instant, elle pensa à l'Arabe qu'elle avait accompagné dans ce restaurant décoré de tableaux célèbres. C'était la deuxième fois qu'elle recevait une telle somme, et au lieu de la satisfaire, cela la rendit nerveuse.
    Le taxi s'arrêta devant l'un des hôtels les plus luxueux de la ville. L'homme salua le portier, montrant ainsi que l'endroit lui était familier. Ils montèrent directement dans la chambre, une suite avec vue sur le fleuve. Terence ouvrit une bouteille de vin, probablement très rare, et lui tendit un verre.
    Pendant qu'elle buvait, Maria le regardait. Qu'est ce qu'un homme de ce genre, riche beau , attendait d'une prostituée? Comme il ne parlait pas ou presque pas, elle resta silencieuse elle aussi à se demander ce qui pouvait satisfaire "un client spécial". Elle sentit que ce n'était pas à elle de prendre l'initiative; cependant une fois que le processus serait engagé, elle comptait bien s'y associer autant qu'il le faudrait. Après tout, ce n'était pas tous les soirs qu'elle gagnait mille francs. "Nous avons le temps, dit Terence. Tout le temps, que nous voudrons. Tu peux dormir ici, si tu le désires.
    Son malaise revint. L'homme ne paraissait pas intimidé, et il parlait d'une voix calme, différente de celle des autres clients. Il savait ce qu'il désirait; Il mit une musique parfaite, dans une chambre parfaite, qui donnait sur le lac d'une ville parfaite. Son costume était bien coupé, la valise , dans un coin, petite, comme s'il n'avait pas besoin de grand-chose pour voyager - ou comme s'il n'était venu à Genève que pour cette nuit.
    "Je rentrerai dormir chez moi " repondit Maria.
    L'homme qui lui faisait face changea soudainement. Son regard courtois prit un éclat glacial.
    "assieds toi là", dit il, indiquant une chaise près du secrétaire.
    C'était un ordre! Vraimant un ordre. Maria obéit et, curieusement, cela l'excita.
    "Tiens toi droite! Allons, redresse toi, comme une femme de classe. Sinon, je vaios te punir".
    Punir, Client spécial ! En un éclair, elle comprit tout, sortit les milles francs de son sac et les posa sur le secrétaire.
    "Je sais ce que tu veux, dit elle en fixant ces yeux bleus de glace. Je ne suis pas prête."
    L'homme parut redevenir normal et vit qu'elle disait vrai.
    "Bois ton vin, dit-il. Je ne te forcerai à rien. Tu peux rester ou, partir si tu le désires."
    Elle se sentit rassurée.
    "J'ai un emploi. Mon patron me protège et me fait confiance. Je t'en prie, ne lui dit rien ". Elle avait prononcé ces mots d'un ton qui n'avait rien d'implorant - c'était la réalité.
    Terence était redevenu lui-même - ni doux ni sévère, seulement un homme qui, contrairement aux autres clients, donnait l'impression de s'avoir ce qu'il voulait. Il semblait sortir d'une transe, une pièce de théatre qui n'avait même pas commencé. Cela valait - il la peine de s'en aller ainsi, sans avoir découvert ce que signifiaient les termes "client spécial" ?
    "Que veus tu, exactement ?"
    "Tu le sais . De la douleur. De la souffrance. Et beaucoup de plaisir."

    "Douleur et souffrance ne se marient pas très bien avec le plaisir", pensa Maria, bien qu'elle voulût désespérément croire le contraire et rendre ainsi positives une bonne partie des expériences négatives de sa vie.
    Il l'a prit par la main et l'emmena jusqu'à la fenêtre : on apercevait, de l'autre côté du lac la tour d'une cathédrale - Maria se souvenait qu'elle était passée par là en compagnie de Ralf sur le chemin de St Jacques.
    "Tu vois ce fleuve, ce lac, ces maisons, cette église ? Il y a plus de 500 ans, tout cela ressemblait plus ou moins à ce que c'est aujourd'hui. Sauf que la ville était complètement déserte. Une maladie inconnue s'était répandue dans toute l'Europe, et personne ne savait pourquoi tant de gens mouraient. On appela cette maladie la peste noire - une punition que Dieu avait envoyée aux hommes à cause de leurs péchés. Alaors, un groupe de gens décida de se sacrifier pour l'humanité : ils offrirent ce qu'ils redoutaient le plus, la douleur physique. Ils se mirent à arpenter jour et nuit ces ponts, ces rues, en se flagellant avec des fouets ou des chaînes. Ils souffraient au nom de Dieu et célébraient Dieu par leur douleur. En peu de temps, ils découvrirent qu'ils étaient alors plus heureux que lorsqu'ils faisaient cuire du pain, cultivaient la terre, nourrissaient les animaux. La douleur n'était plus souffrance, mais plaisir de racheter l'humanité de ses péchés. La douleur devint joie, sens de la vie, plaisir."
    Ses yeux retrouvèrent le même éclat froid qu'elle y avait vu quelques minutes plus tôt. Il prit l'argent qu'elle avait posé sur le secrétaire, en retira 150 francs et les glissa dans son sac.
    "Ne t'en fais pas pour ton patron. Voici sa commission et je promets de ne rien dire. Tu peux partir."
    Elle reprit tous les billets.
    "Non!"
    C'étaient le vin, l'Arabe au restaurant, la femme au sourire attristé, l'idée qu'elle ne reviendrait jamais dans cet endroit maudit, la peur de l'amour qui se présentait sous le trait d'un homme, les lettres qu'elle envoyait à sa mère lui racontant une existence riche d'opportunités professionnelles, le garçon de son enfance qui lui avait demandé un crayon, ses combats contre elle-même, la culpabilité, la curiosité, l'argent, la quête de ses propres limites, les chances et les occasions qu'elle avait passer. Une autre Maria se trouvait là : elle n'offrait plus de cadeaux, elle se donnait en sacrifice. "Ma peur est passé. Allons plus loin. Si c'est nécessaire, châtie-moi parce que je suis une rebelle. J'ai menti, j'ai trahi, je me suis mal comportée avec ceux qui m'ont protégée et aimée."
    Elle était entrée dans le jeu. Elle disait ce qu'il fallait.
    "Mets-toi à genoux !" ordonna Terence d'une voix sourde et inquiétante.
    Maria obéit. Jamais elle n'avait été traitée de cette manière, elle ne savait pas si c'était bien ou mal, elle voulait seulement allez plus loin. Elle méritait d'être humiliée pour tout ce qu'elle avait fait dans sa vie. Elle entrait dans la peau d'un personnage, une femme qu'elle ne connaissait pas du tout.

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