• Un jour, un musicien - un homme que Terence trouvait très étrange parce qu'il paraissait excessivement normal dans ce milieu d'originaux - oublia un livre dans le studio. "La vénus à la fourrure", de Léopold Von Sacher-Masoch. Terence le feuilleta et, à mesure qu'il lisait, il se comprenait mieux lui-même.
    "La jolie femme se dévêtit et prit un long fouet, avec un petit manche, qu'elle attacha à son poignet.<<vous l'avez demandé, dit-elle. Alors je vais vous fouetter>>.
    <<Faites-le, murmura son amant. Je vous en implore.>> "
    La femme de Terence se tenait de l'autre côté de la cloison vitrée du studio en pleine répétition. Elle avait demandé que l'on coupe le microphone qui permettait aux techniciens de tout entendre, et on lui avait obéi. Terence songeait qu'elle était peut-être en train de fixer un rendez-vous au pianiste. Il comprit : elle le rendait fou - mais il s'était déjà habitué à souffrir, semblait-il, et ne pouvait plus vivre sans.
    "je vais vous fouetter", disait la femme dévêtue, dans le roman qu'il tenait. "Faite-le. Je vous en implore".
    Il était beau, il possédait du pouvoir dans sa maison de disques. Quel besoin avait-il de mener cette existence?
    Il aimait cela. Il méritait de souffrir grandement, puisque la vie avait été généreuse pour lui et qu'il n'était pas digne de tous ces bienfaits - l'argent, le respect, la célébrité. Sa carrière en était au point où il dépendait du succès, et cela l'inquiétait, parce qu'il avait déjà vu bien des gens tomber de haut.
    Il lut le livre jusqu'à la dernière ligne. Il se mit à lire tout ce qui concernait la mystèrieuse union de la douleur et du plaisir. sa femme découvrit les vidéos qu'il louait; les livres qu'il cachait, et elle lui demanda ce que cela signifiait, s'il était malade. Terence l'assura que non, c'étaient des recherches pour illustrer un nouveau travail. Et il suggéra, l'air de ne pas y toucher : "Nous devrions peut-être essayer".
    Ils essayèrent. Au début très timidement, en recourant seulement aux manuels qu'ils trouvaient dans les sex-shops. Peu à peu, ils développèrent de nouvelles techniques, atteignant les limites, prenant des risques - Mais ils sentaient que leur mariage était de plus en plus solide. Ils étaient complices d'un secret interdit, condamné.
    Leur expérience se transforma en art :ils créèrent une nouvelle mode, cuir et clous en métal. Sa femme, en bottes et porte-jartelles, entrait en scène un fouet à la main, et portait le public au délire. Ce nouveau disque atteignit le premier rang du hit parade en Angleterre, et il s'ensuivit un succès retentissant dans toute l'Europe. Terence était surpris que les jeunes acceptentaussi facilement ses divagations personnelles, et sa seule explication était que leur violence contenue pouvait ainsi s'exprimer sous une forme intense, mais inoffensive.
    Le fouet, devenu le symbole du groupe, fut reproduit sur des T-shirts, des tatouages, des autocollants, des cartes postales... Et Terence, qui bénéficiait d'une certaine formation intellectuelle, se mit en quête de l'origine de tout cela dans le but de mieux se comprendre lui-même.
    Contrairement à ce qu'il avait dit à la prostituée, cela n'avait rien à voir avec les pénitents désireux d'éloigner la peste noire. Depuis la nuit des temps, l'homme avait compris que la souffrance, une fois apprivoisée, est son passeport pour la liberté.
    En Egypte, à Rome et en Perse existait déjà la notion selon laquelle un homme qui se sacrifie sauve son pays et le monde. En chine, lorsqu'une catastrophe naturelle se produisait, l'empereur était châtié, puisqu'il était le représentant de la divinité sur terre. Les meilleurs combattants de Sparte, dans la Grèce antique, étaient fouettés une fois par an, du matin au soir, en hommage à la Déesse Artémis - tandis que la foule les exhortait par ses cris à supporter avec dignité la douleur qui les préparait à affronter les guerres à venir. A la fin de la journée, les prêtres examinaient les blessures laissées sur leur dos et y lisaient l'avenir de la cité.
    Les Pères du désert, une ancienne communauté monastique du IVe s, non loin d'Alexandrie, recouraient à la flagellation pour éloigner les démons, ou prouver la superiorité de l'esprit sur le corps dans la quête spirituelle. L'histoire des Saints regorgeait d'exemples - Sainte Rose courait dans un jardin d'épines, Saint Dominique Loricatus se fustigeait chaque soir avant de se coucher, les martyrs se livraient volontairement à la mort lente sur la croix ou se laissaient dévorer par les animaux sauvages. Tous affirmaientque la douleur, une fois surmontée, menait à l'extase mystique.
    De récentes études, non confirmées, révèleaient qu'un champignon aux propriétés hallucinogènes pouvait se développer sur les blessures, provoquant ainsi des visions. Le plaisir semblait tel que cette pratique avait bientôt quitté les monastères pour se répandre dans le monde.
    En 1718 était paru un "Traité d'autoflagellation" qui enseignait comment découvrir le plaisir à travers la douleur, sans causer de dommages physiques. A la fin du XVIIIe siècle, on trouvait une multitude d'endroits dans toute l'Europe où les gens recherchaient la joie à travers la souffrance. Selon certaines archives, des rois et des princesses avaient coutume de se faire battre par leurs domestiques, avant de découvrir que l'on peut avoir du plaisir non seulement à recevoir, mais à appliquer la douleur - bien que ce fût plus épuisant et moins gratifiant.

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  • Comme elle gardait la tête baissée en signe d'obéissance et d'humilité, Maria ne pouvait voir exactementce qui se passait ; mais elle remarquait que, dans un autre univers, sur une autre planète, cet homme haletait, fatigué de faire claquer le fouet et de lui frapper les fesses, tandis qu'elle se sentait de plus en plus forte et pleine d'énergie. A présent elle n'avait plus honte, et elle ne ressentait ausune gêne à montrer qu'elle aimait ça; elle se mit à gémir, lui demanda de toucher son sexe, mais l'homme, au lieu de la satisfaire, l'attrapa et la jeta sur le lit.
    Violemment - mais d'une violence qu'elle connaissait, qui n'allait lui causer aucun mal, il lui écarta les jambes et les attacha de chaque côté du lit. Elle avait les mains menottées dans le dos, les jambes écartées, le baillon sur la bouche. Quand allait-il la pénétrer ? Ne voyait - il pas qu'elle était prête, qu'elle voulait le servir, qu'elle était son esclave, son animal, son objet, qu'elle ferait tout ce qu'il demandait ?
    "Aimerais-tu que je te fasse jouir?"
    Il appuyait le manche du fouet sur son sexe. Il le frotta du haut en bas et, au moment où il toucha son clitoris, elle perdit tout contrôle. Elle ne savait pas depuis combien de temps il étaient là, combien de fois elle avait été frappée, mais soudain ce fut l'orgasme, l'orgasme que des dizaines, des centaines d'hommes, durant tout ces mois, n'avaient pas réussi à éveiller. Il y eut une explosion de lumière, Maria sentit qu'elle entrait dans un trou noir au plus profond de son âme, où la douleur et la peur se mêlaient au plaisir absolu, l'entraînant au-delà de toutes les limites qu'elle avait connues. Elle gémit, poussa un cri étouffé par le bâillon, s'agita sur le lit, sentit que les menottes lui sciaient les poignets et que les lanières de cuir lui blessaient les chevilles, bougea comme jamais - justement parce qu'elle ne pouvait pas bouger - cria comme jamais elle n'avait crié - puisqu'elle avait un bâillon sur la bouche et que personne ne pouvait l'entendre. C'était cela la douleur et le plaisir, le manche de fouet qui pressait son clitoris de plus en plus fort, et sa bouche, son sexe, ses yeux, ses pores, toute sa jouissance.

    Elle tomba dans une sorte de transe, dont elle émergea peu à peu. Déjà elle n'avait plus le fouet entre les jambes. Des cheveux étaient mouillés par une sueur abondante; des mains douces lui ôtèrent les menottes et détachèrent les lanières de cuir de ses chevilles.
    Elle resta là, étendue, confuse, incapable de regarder l'homme parce qu'elle avait honte d'elle-même, de ses cris, de son orgasme. Il lui caressait les cheveux et haletait lui aussi - mais le plaisir avait été exclusivement pour elle ; il n'avait eu aucune extase.
    Son corps nu se serra contre cet homme entièrement vêtu, épuisé de tant de cris, de tant de contrôle de la situation. Maintenant elle ne savait pas quoi dire, comment continuer, mais elle était en sécurité, protégée : il l'avait invitée à atteindre une part d'elle - même qu'elle ne connaissait pas. Il était son protecteur et son Maître.
    Elle se mit à pleurer, et il attendit patiemment qu'elle se câlmat.
    "Qu'as-tu fait de moi ?" dit-elle entre ses larmes.
    - Ce que tu voulais que je fasse."
    Elle le regarda et sentit qu'elle avait désespérement besoin de lui.
    "Je ne t'ai pas forcée, je ne t'ai pas obligée, et je ne t'ai pas entendue dire "jaune". Mon seul pouvoir était celui que tu m'accordais. Il n'y avait aucune contrainte, aucun chantage, seulement ta volonté ; même si tu étais l'esclave et que j'étais le Maître, mon seul pouvoir était de te pousser vers ta propre liberté."
    Des menottes. Des lanières de cuir aux pieds. Un baîllon. L'humiliation, plus forte et plus intense que la douleur. Pourtant, il avait raison, la sensation était de liberté totale. Maria était pleine de lumière, et lui semblait opaque, vidé.
    "Tu peux partir quand tu le veux, dit Terence.
    - Je ne veux pas partir, je veux comprendre."
    Elle se leva, dans la beauté et l'intensité de sa nudité, et remplit deux verres de vin. Elle alluma deux cigarettes et lui en donna une. Les rôles s'étaient inversés, elle était la maîtresse qui servait l'esclave, le récompensant du plaisir qu'il lui avait donné.
    "Je vais m'habiller puis je partirai. Mais d'abord j'aimerais parler un pau.
    - Il n'y a rien à dire. C'était ça que je voulais, et tu as été merveilleuse. Je suis fatigué, je dois repartir demain pour Londres."
    Il s'allongea et fermat les yeux. Maria ne savait s'il faisait semblant de dormir, mais peu lui importait; elle fuma sa cigarette avec plaisir, but lentement son verre de vin, le visage collé à la vitre, à regarder le lac et à désirer que quelqu'un la vît ainsi - nue, pleine, comble, sûre de soi.
    Elle s'habilla, sortit sans dire au revoir, et sans que le fait d'ouvrir la porte elle - même ait quelques importance : elle n'était pas certaine de vouloir revenir.
    Terence entendit la porte se refermer. Il attendit pour voir si Maria revenait sous un prétexte quelconque puis, au bout de quelques minutes, il se leva et alluma une cigarette.
    La fille avait du style, pensa-til. Elle avait supporté le fouet, le plus commun, le plus vieux et le moindre de tous les supplices. Il se rappela la première fois où lui-même avait fait l'expérience de cette mystérieuse relation entre deux êtres qui désirent êtres qui désirent se rapprocher et n'y parviennent qu'en sinfligeant mutuellement la souffrance.
    Dehors, des millions de couples pratiquaient chaque jour sans le savoir l'art du sadomasochisme. Ils allaient au travail, revenaient, se plaignaient de tout, l'homme agressait sa femme ou l'était par elle, ils se sentaient misérables - mais profondément attachés à leur propre malheur, et l'ignoraient qu'il suffisait d'un geste, d'un "plus jamais ça", pour se libérer de l'oppression. Terence avait connu cela avec sa femme, une célèbre chanteuse anglaise ; tourmenté par la jalousie, il lui faisait des scènes,^passait ses journées sous l'emprise des calmants et ses nuits ivre d'alcool. Elle l'aimait et ne comprenait pas pourquoi il agissait ainsi ; il l'aimait et ne comprenait pas non plus son propre comportement. Mais c'était comme si les peines qu'ils s'infligeaient l'un à l'autre étaient nécessaires, essentielles à leur existence.

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  • Toutes les bougies étaient allumées. terence en prit une, la plaça au centre de la table, servit de nouveau champagne et caviar. Maria buvait vite tout en songeant aux 1000 francs dans son sac, à l'inconnu qui la fascinait et l'intimidait tout à la fois, à la meilleure manière de contrôler sa peur. Elle savait qu'avec cet homme une soirée n'était jamais semblable à la précédente, et elle ne pouvait pas le menacer.
    "assieds-toi."
    La voix était alternativement douce et autoritaire. Maria obéit, et une vague de chaleur parcourut son corps; cet ordre lui était familier, elle se sentit plus assurée. "Théatre. Je dois entrer dans la pièce de théatre."
    Il était bon d'être commandée. Elle ne devait pas penser, seulement obéir. Elle réclama encore du champagne, il lui apporta de la vodka; cela montait plus vite à la tête: libérait plus facilement des inhibitions, s'accordait mieux avec le caviar.
    Il ouvrit la bouteille, Maria but pratiquement seule. Le tonnerre grondait toujours. Tout concourait à la perfection du moment, comme si l'énergie des cieux et de la terre révélait elle aussi sa violence.
    Terence prit alors dans l'armoire une petite mallette, qu'ilposa sur le lit.
    "Ne bouge pas"
    Maria obéit. Il l'ouvrit et en sortit deux paires de menottes en métal chromé.
    "Assieds- toi jambes écartées."
    Elle obtempéra, volontairement impuissante, soumise parce qu'elle le désirait. Elle vit qu'il regardait entre ses jambes, pouvait voir sa culotte noire, ses bas, ses cuisses, imaginer ses poils, son sexe.
    "Debout !"
    Elle bondit de la chaise. Son corps eut du mal à se tenir en équilibre, et elle constata qu'elle était plus ivre qu'elle ne le pensait.
    "Ne me regarde pas. Baisse la tête, respecte ton Maître !"
    Avant de s'excécuter, elle entraperçut un fouet trés fin sortir de la mallette et claquer dans l'air, comme doté d'une vie propre.
    "Bois; Garde la tête baissée, mais bois."
    Elle avala encore un, deux, trois verres de vodka.
    Maintenant ce n'était plus un théatre, mais la réalité : c'était plus fort qu'elle. Elle se sentait un objet, un simple instrument, et incroyable que ce fût, cette soumission lui donnait la sensation d'une totale liberté. Elle n'était plus la maîtresse, celle qui enseigne, console, écoute les confessions, excite : elle n'était que la petite fille de l'intérieur du Brésil devant le gigantesque pouvoir de l'homme.


    "Retire tes vêtements"
    Ce fut un ordre sec, sans désir - et cependant extrêmement érotique. Toujours tête baissée en signe de déférence, Maria dégrafa sa robe et la laissa glisser jusqu'au sol.
    "Sais tu que tu ne te comportes pas bien ?"
    De nouveau le fouet claqua.
    "Tu dois être châtiée. Une fille de ton âge, comment oses-tu me contrarier ? Tu devrais être à genoux devant moi ! "
    Elle s'apprêta à s'agenouiller, mais le fouet l'interrompit; pour la première fois, il frappait sa chair - sur les fesses. Cela brûlait, mais semblait ne pas laisser de marques.
    "Je ne t'ai pas dit de t'agenouiller. L'ai-je dit ?"
    - Non"
    Le fouet frappa encore ses fesses.
    "Dis, "Non, Mon Maître."
    De nouveau des coups. De nouveau la brûlure. Une fraction de seconde, elle pensa qu'elle pouvait tout arrêter sur le champ ; elle pouvait aussi choisir d'aller jusqu'au bout, non pour l'argent, mais à cause de ce que Terence avait affirmé la première fois : un être humain ne se connaît que losqu'il atteint ses limites.
    Et ça, c'était nouveau, c'était l'Aventure. Elle pourrait toujours décider plus tard de continuer si elle le voulait, mais cet à cet instant elle cessa d'être la jeune fillequi poursuivait des objectifs dans la vie, qui gagnait de l'argent au moyen de son corps et qui avait fait la connaissance d'un homme ayant des histoires intéressantes à raconter devant un feu de cheminée. Là, elle n'était personne et, n'étant personne, elle était tout ce dont elle avait rêvé.
    "Retire tous tes vêtements. Et marche pour que je puisse te voir."
    Elle obéit, tête baissée, sans mot dire. L'homme qui l'observait était habillé, impassible, ce n'était plus l'être qu'elle avait rencontré dans la boîte de nuit.- C'était un Ulysse qui venait de Londres, un Thésée descendu du ciel, un kidnappeur qui envahissait la violle la plus sûre du monde, et le coeur le plus fermé de la terre. Elle retira sa culotte, son soutien-gorge, et se sentit en même temps sans défense et protégée. Le fouet claqua dans l'air sans atteindre son corps.
    "Garde la tête baissée ! Tu es ici pour être humiliée, soumise à tout ce que je désire, compris ?"
    - "Oui, Maître"
    Il lui saisit le poignets et lui passa les menottes. "Tu vas voir ce que tu vas prendre ! Jusqu'à ce que tu saches te conduire convenablement."
    De sa main ouverte, il lui donna une claque sur les fesses. Maria cria, cette fois elle avait eu mal.
    "ah ! tu protestes, n'est ce pas? Et bien, tu vas voir ce qui est bon ."
    Avant qu'elle ait pu réagir, un baillon de cuir vint fermer sa bouche. Il ne l'empêchait pas de parler, elle pouvait dire "Jaune" ou "Rouge", mais il permettait à cet homme de faire d'elle ce qu'il voulait, et elle n'avait aucun moyen de s'échapper. Elle était nue, baîllonnée, menottée, la vodka à la place du sang.
    Nouvelle claque sur les fesses.
    "Marche d'un côté à l'autre !"
    Maria se mit à marcher, obéissante aux ordres "arrête toi", "tourne à droite", "assieds toi", "écarte les jambes". De temps à autre, sans raison, elle recevait une claque, et elle sentait la douleur, l'humiliation - plus puissante et plus forte que la douleur - , et elle avait l'impression d'être dans un autre monde, où plus rien n'existait. C'était une sensation quasi religieuse : s'annihiler totalement, servir, perdre la conscience de son égo, de ses désirs, de sa volonté propre. Elle était complètement mouillée, excitée, et ne comprenait pas ce qui se passait.
    "remets toi à genoux !"

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  • Peu après que Maria eut écrit ces mots, et tandis qu'elle se préparait à vivre une nouvelle soirée en Mère affectueuse ou en Petite Fille ingénue, la porte du Copacabana s'ouvrit et Terence entra.
    Milan, derrière le bar, parut satisfait : la petite ne l'avait pas déçu. Maria se rappela à l'instant même ces mots qui signifiaient tant de choses et dont le sens était pour elle obscur :
    "Douleur, souffrance, et beaucoup de plaisir."
    "Je suis venu de Londres spécialment pour te voir. J'ai beaucoup pensé à toi."
    Elle sourit et s'efforçat de faire en sorte que son sourire ne fut pas un encouragement. Cette fois non plus, il ne suivit pas le rituel, il ne l'invita ni à boire ni à danser, il s'assit simplement...
    "Quand le professeur fait découvrir quelque chose à un élève, lui aussi fait une découverte.
    - Je sais de quoi tu parles", répondit Maria, qui pensait à Ralf tout en se sentant irritée de ce souvenir : elle se tenait devant un client, elle devait respecter et faire son possible pour le contenter.
    "Veus tu aller plus loin ?"
    Mill francs. Un univers caché. Le patron qui la regardait. La certitude qu'elle pourrait s'arrêter quand elle le voudrait. La date fixée pour le retour au Brésil. Un homme, qui ne se manifestait pas.
    "Tu es pressé ?" demanda Maria.
    Il répondit que non. Alors, que voulait-elle?
    "Je veux mon verre, ma danse, du respect pour ma profession."
    Il hésita quelques minutes, mais dominer et être dominé faisaient partie de la représentation. Il paya la consommation, dansa, appela un taxi, lui remit l'argent pendant qu'ils traversaient la ville, et ils se rendirent au même hôtel que la fois précédente. Ils entrèrent. Il salua le portier italien comme le soir où ils avaient fait connaissance, et ils montèrent dans la chambre, avec vue sur le fleuve.

    Terence frotta une allumette, et alors seulement Maria se rendit compte que d'innombrables bougies parsemaient la pièce. Il commença à les allumer.
    "Que veux-tu savoir ? Pourquoi je suis ainsi ? Pourquoi, si je ne m'abuse, tu as adoré la soirée que nous avons passée ensemble ? Tu veux savoir pourquoi toi aussi tu es ainsi ?"
    - Au Brésil il existe une superstition : on ne doit pas allumer plus de trois bougies avec la même allumette. Et tu ne t'y plies pas . "
    Il ignora la remarque.
    "Tu es comme moi. Tu ne viens pas ici pour les 1000 francs, mais à cause d'un sentiment de culpabilité, de dépendance, à cause de tes complexes et de ton manque d'assurance. Ce n'est ni bien ni mal, c'est la nature humaine."
    Il saisit la télécommande de la télévision et changea plusieurs fois de chaîne avant de s'arrêter sur un journal d'information qui montrait des réfugiés en fuite."
    "Tu vois ces images ? Tu as déjà vu ces émissions où les gens viennent étaler leurs problèmes personnels devant tout le monde ? Tu es déjà allée jusqu'au kiosque lire les manchettes de journaux ? Tout le monde se réjouit de la souffrance et de la douleur. Sadisme quand on regarde, masochisme quand on conclut qu'on n'a nul besoin de savoir tout ça pour être heureux, mais qu'on assiste néanmoins à la tragédie d'autrui et parfois qu'on en souffre."
    Il servit 2 coupes de champagnes, éteignit la télévision et se remit à allumer les bougies, sans tenir compte de la superstition dont l'avai averti Maria.
    "Je le répète : c'est la condition humaine. Depuis que nous avons été expulsés du paradis, ou bien nous souffrons, ou bien nous faisons souffrir et contemplons la souffrance des autres. Nous n'y pouvons rien."
    Ils entendirent le tonnerre gronder, un gigantesque orage approchait.
    "Mais je n'y arrive pas, dit Maria. Il me semble ridicule de penser que tu es mon Maître et moi, ton esclave. Nous n'avons besoin d'aucun théatre pour rencontrer la souffrance : la vie nous offre déjà trop d'occasions de souffrir."

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  • "Tu seras châtiée. Parce que tu es inutile, tu ne connais pas les règles, tu ne sais rien du sexe, de la vie, de l'amour."
    Tandis qu'il parlait, Terence se dedoublait : un homme lui expliquait calmement les règles, un autre la faisait se sentir la personne la plus misérable du monde.
    "Sias tu pourquoi j'accepte cela ? Parce qu'il n'y a pas de plus grand plaisir que d'initier quelqu'un à un univers inconnu. Lui soustraire sa virginité - pas celle du corps, celle de l'âme, comprends-tu ?"
    Elle comprenait.
    "Aujourd'hui tu pourras poser des questions. Mais la prochaine fois, lorsque le rideau de notre théatre s'ouvrira, la pièce commencera et on ne pourra pas l'interrompre. Si elle s'arrête, c'est que nos âmes ne se seront pas accordées. Souviens-toi : c'est une pièce de théatre. Tu dois être ce personnage que tu n'as jamais eu le courage d'être. Peu à peu, tu découvriras que ce personnage, c'est toi-même, mais tant que tu ne t'en seras pas clairement rendu compte, tâche de faire semblant, d'être inventive.
    - Et si je ne supporte pas la douleur?
    - il n'y a pas de douleur, seulement une sensation qui se transforme en délice, en mystère. Demander " Ne me traite pas ainsi, j'ai très mal" fait partie de la pièce.
    Dire "Arrête, je ne supporte plus !" en fait également partie. Donc, pour éviter le danger... Baisse la tête, ne me regarde pas !"
    Maria, à genoux, baissa la tête et fixa le sol. "Pour éviter que cette relation ne cause des dommages physiques graves, nous aurons deux codes. Si l'un de nous dit "jaune", cela signifie que la violence doit être un peu réduite. S'il dit "rouge", qu'il faut s'arrêter immédiatement.
    "Tu as dit "l'un de nous"?
    "On alterne les rôles. L'un n'existe pas sans l'autre, et aucun ne saura humilier s'il n'est pas lui -même humilié".
    C'étaient des paroles terribles, venues d'un univers qu'elle ne conniassait pas, un univers d'ombre, de boue, de pourriture. Pourtant, elle avait envie d'aller plus loin - son corps tremblait de peur et d'excitation.
    La main de Trence toucha sa tête avec une tendresse inattendue.
    "fin"
    Il la pria de se lever sans douceur particulière, mais sans la sèche agressivité dont il avait fait preuve auparavant. Encore tremblante, Maria enfila sa veste.
    Terence remarqua son état.
    "Fume une cigarette avant de partir !".
    - Il ne s'est rien passé.
    - Ce n'était pas nécessaire. Cela fera son chemin dans ton âme. La prochaine fois que nous nous rencontrerons, tu seras prête.
    - Cette soirée, valait-elle 1000 francs ?"
    Il ne répondit pas. Il alluma lui aussi une cigarette, et ils terminèrent le vin, écoutèrent la musique, savourant ensemble le silence. Puis vint le moment de dire qielque chose, Maria fut surprise de ses propres paroles :
    "Je ne comprends pas pourquoi j'ai envie de marcher dans cette boue.
    - 1000 francs.
    -Ce n'est pas cela."
    Terence paraissait ravi de sa réponse.
    "Moi je me suis posé cette question. Le marquis de Sade disait que les expériences les plus importantes qui puisse faire un homme sont celles qui le conduisent à l'extrême. C'est ainsi que nous apprenons, parce que cela requiert tout notre courage. Un patron qui humilie un employé ou un homme qui humilie sa femme sont seulement lâches, ou se vengent de la vie. Ils n'ont jamais osé regarder au fond de leur âme. Ils n'ont pas cherché à savoir d'où vient le désir de liberer la bête sauvage, ni à comprendre que le sexe, la douleur, l'amour sont pour l'homme des expériences limites. Seul celui qui connaît ces frontières connaît la vie; le reste n'est que passer le temps, répéter une même tâche, vieillir et mourrir sans avoir vraiment su ce que l'on fasait ici-bas."

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